TOUTE la journÂe, dans cette demeure de Tansonville un peu trop campagne, qui nĂavait lĂair que dĂun lieu de sieste entre deux promenades ou pendant lĂaverse, une de ces demeures o chaque salon a lĂair dĂun cabinet de verdure, et o sur la tenture des chambres, les roses du jardin dans lĂune, les oiseaux des arbres dans lĂautre, vous ont rejoints et vous tiennent compagnieĂisolÂs du moinsĂcar cĂÂtaient de vieilles tentures o chaque rose Âtait assez sÂparÂe pour quĂon eÂt pu, si elle avait Ât vivante, la cueillir, chaque oiseau le mettre en cage et lĂapprivoiser, sans rien de ces grandes dÂcorations des chambres dĂaujourdĂhui oÂ, sur un fond dĂargent, tous les pommiers de Normandie sont venus se profiler en style japonais, pour halluciner les heures que vous passez au lit, toute la journÂe je la passais dans ma chambre qui donnait sur les belles verdures du parc et les lilas de lĂentrÂe, sur les feuilles vertes des grands arbres au bord de lĂeau, Âtincelants de soleil, et sur la forÂt de MÂsÂglise. Je ne regardais, en somme, tout cela avec plaisir que parce que je me disais: cĂest joli dĂavoir tant de verdure dans la fenÂtre de ma chambre, jusquĂau moment o dans le vaste tableau verdoyant je reconnus, peint lui au contraire en bleu sombre, simplement parce quĂil Âtait plus loin, le clocher de lĂÂglise de Combray, non pas une figuration de ce clocher, ce clocher lui-mÂme qui, mettant ainsi sous mes yeux la distance des lieues et des annÂes, Âtait venu, au milieu de la lumineuse verdure et dĂun tout autre ton, si sombre quĂil paraissait presque seulement dessinÂ, sĂinscrire dans le carreau de ma fenÂtre. Et si je sortais un moment de ma chambre, au bout du couloir jĂapercevais, parce quĂil Âtait orient autrement, comme une bande dĂÂcarlate, la tenture dĂun petit salon qui nĂÂtait quĂune simple mousseline mais rouge, et prÂte  sĂincendier si un rayon de soleil y donnait.
Pendant nos promenades, Gilberte me parlait de Robert comme se dÂtournant dĂelle, mais pour aller auprÂs dĂautres femmes. Et il est vrai que beaucoup encombraient sa vie, et, comme certaines camaraderies masculines pour les hommes qui aiment les femmes, avec ce caractÂre de dÂfense inutilement faite et de place vainement usurpÂe quĂont dans la plupart des maisons les objets qui ne peuvent servir  rien.
Une fois, que jĂavais quitt Gilberte assez tÂt, je mĂÂveillai au milieu de la nuit dans la chambre de Tansonville, et encore  demi endormi jĂappelai: ĂAlbertineĂ. Ce nĂÂtait pas que jĂeusse pens  elle, ni rÂv dĂelle, ni que je la prisse pour Gilberte. Ma mÂmoire avait perdu lĂamour dĂAlbertine, mais il semble quĂil y ait une mÂmoire involontaire des membres, pÂle et stÂrile imitation de lĂautre, qui vive plus longtemps comme certains animaux ou vÂgÂtaux inintelligents vivent plus longtemps que lĂhomme. Les jambes, les bras sont pleins de souvenirs engourdis. Une rÂminiscence Âclose en mon bras mĂavait fait chercher derriÂre mon dos la sonnette, comme dans ma chambre de Paris. Et ne la trouvant pas, jĂavais appelÂ: ĂAlbertineĂ, croyant que mon amie dÂfunte Âtait couchÂe auprÂs de moi, comme elle faisait souvent le soir, et que nous nous endormions ensemble, comptant, au rÂveil, sur le temps quĂil faudrait  FranÂoise avant dĂarriver, pour quĂAlbertine pÂt sans imprudence tirer la sonnette que je ne trouvais pas.