ĂAllez chercher Nora. Je veux qu'elle voie sa mÂre sur le lit de mort.
L'ordre fut donn d'un ton presque dur, de volont farouche.
Cependant l'institutrice, Mlle Marthe, une personne instruite, maigre et avisÂe, Â la fois trÂs ÂgoÂste et trÂs bonne, rÂpliqua avec son lÂger accent d'Allemande depuis longtemps francisÂe:
ĂOh! monsieur Mitry, l'enfant est si sensible! Croyez-vous, monsieur, que ce soient l des Âmotions  lui donner,  son Âge?...
La petite Nora avait  peine huit ans.
Le pÂre ne rÂpondit pas tout de suite.
C'Âtait un homme de trente-cinq ans, trÂs grand, Â larges Âpaules, et qui, sous sa forme d'athlÂte, cachait des faiblesses et des exaltations de femme.
L'impression que Mlle Marthe redoutait pour Nora, il la voulait, lui, pour son enfant. C'Âtait son idÂe,  lui, de faire entrer  jamais dans le souvenir de la fillette adorÂe, l'image adorÂe de la morte. Ils seraient deux  la porter en eux,  garder d'elle quelque chose d'impÂrissable.
Il rÂpÂta doucement:
ĂAllez chercher Nora.
L'Allemande dÂsapprouva une seconde fois:
ĂSur une Âme d'enfant, prononÂa-t-elle, une premiÂre impression peut laisser une empreinte dÂfinitive... influencer toute sa vie.
Mais justement c'Âtait cela que voulait le pauvre pÂre, et il n'Âtait pas besoin d'insister pour le confirmer dans sa rÂsolution.
ĂAllez chercher Nora, rÂpÂta-t-il une troisiÂme fois, avec un peu d'impatience.
Mlle Marthe n'ajouta plus rien et elle sortit.
Le malheur qui frappait brusquement FranÂois Mitry le trouvait hÂroÂque. AprÂs neuf ans d'un bonheur d'amour invraisemblable  force d'Âtre pur, il se voyait seul tout  coup. En moins d'une semaine, sa femme, sa ThÂrÂse, venait de lui Âtre arrachÂe. Il ne concevait pas horreur plus grande, mais elle ne lui Âtait pas imprÂvue. Quotidiennement,  toute Âpoque, sa pensÂe lui avait montr la fragilit des Âtres et des choses. Il Âtait de ceux qui voient la mort, toujours, sous toutes les apparences,ĂmÂme joyeuses,Ăde la vie. La foudre l'avait, pour ainsi dire, surpris dans sa chair sans Âtonner son Âme. S'il s'Âtonnait de quelque chose, c'Âtait de la durÂe exceptionnelle de sa joie.... Et pourtant c'Âtait fini, passÂ, tout cela, tomb derriÂre lui, dans le trou sans fond,  l'inconnu.... Combien de temps avait dur sa vie heureuse? Neuf annÂes, oui, neuf. Depuis neuf ans elle Âtait sa femme, son bien, toute sa vie.... Et maintenant, dans la chambre voisine, dans cette immense villa qu'il avait fait bÂtir pour elle au bord de la mer avec tant de soins minutieux, elle dormait froide, blanche comme le linceul, dans l'immobilit rigide, dÂfinitive.... Elle Âtait prÂsente encore et dÂj absente,  jamais!... Et le grand rythme de la mer sur l'immense grÂve de Cavalaire semblait bercer ce sommeil d'ÂternitÂ.
Il regarda en lui-mÂme tout ce nÂant, et son Ăil s'y perdit, devenu vague et morne, comme reflÂtant le vide inconnu, l'inexplicable Âternit du rien que nous sommes.