Ce volume réunit trois travaux complémentaires — entretien, témoignage et critique documentaire — concernant l'Institut Miles Christi, d'origine argentine et aujourd'hui supprimé par l'autorité pontificale. Il ne s'agit ni d'une chronique institutionnelle ni d'une œuvre apologétique, mais du début d'une esquisse. Sans prétention à l'exhaustivité, nous cherchons à éclairer ce qui a été délibérément maintenu dans l'ombre : la manière dont certaines expériences religieuses se replient sur elles-mêmes, se figent, et finissent par laisser derrière elles un sillage de dissimulation, de douleur et de simulacre spirituel.
Le premier entretien, avec un membre ayant demandé l'anonymat, est bouleversant par la crudité avec laquelle il évoque ce que l'oubli — parfois imposé — ensevelit. Le second, qui prolonge le premier, permet d'esquisser des aspects à peine suggérés : des personnalités déformées par un esprit de succès religieux devenu cruauté formelle ; des pratiques quotidiennes marquées par une esthétique rigoureuse et une discipline structurante qui anéantissait toute possibilité d'éducation authentique.
Les références à Roberto, figure dominante dans le schéma formatif de l'Institut, ravivent l'écho de Nietzsche lorsqu'il affirmait : « De tout ce qui s'écrit, seul m'intéresse ce qui est écrit avec du sang. » Et ici, il y a du sang, de l'abnégation, de la douleur — non seulement écrite, mais vécue. Bien que Roberto ait été sécularisé, des voix proches affirment qu'il célèbre encore la messe, ce qui remet en question les mécanismes de contrôle et les silences opérants dans certaines structures ecclésiales.
Ce volume intègre également une sélection de documents internes fournis par d'anciens membres : répertoires, normes, schémas de formation spirituelle. De tout le corpus reçu, nous avons retenu ce qui permet de reconstruire, même partiellement, le modus operandi et le modus vivendi de l'Institut avant sa suppression par le défunt pape François.
Cette compilation ne vise ni la démolition ni le révisionnisme idéologique, mais l'établissement d'une mémoire critique de ce qui a été vécu. Face au spectacle des réformes ayant suivi le Concile Vatican II — où le bloc progressiste s'est déchaîné pour céder la place à des réactions tout aussi désordonnées — Miles Christi apparaît comme un cas emblématique du dommage causé par des structures qui ne relèvent pas explicitement du courant moderniste, mais en reproduisent les déformations sous d'autres atours.
Après examen des témoignages et documents ici présentés, il ne reste qu'à reconnaître ce qui fut exprimé à plusieurs reprises par ceux qui ont vécu au sein de l'Institut : une spiritualité labyrinthique née d'un jésuitisme exacerbé, une discipline extérieure étouffant les énergies de l'âme, et un style formateur hostile à toute étude intellectuelle des sources, où l'érudition était mal vue au nom du slogan « religieux étudiant, religieux d'abord » — étrange dans un institut s'adressant à des universitaires.
À tout cela, il faut ajouter les déséquilibres du fondateur et ses désordres moraux qui, en quelque sorte, constituent le fil conducteur d'une expérience qui — plus que formative — fut défigurante.
Ce volume n'a donc d'autre prétention que de fixer quelques traits. Mais à une époque où l'accélération numérique favorise l'oubli et l'amnésie institutionnelle, tout trait fixé — même préliminaire — vaut témoignage et vaut dénonciation.