Contes merveilleux (Complete)

Il regarda autour de lui, et ne voyant plus d'autre objet ˆ qui adresser ses hommages, il prit, ds ce moment, le mariage en haine. Quelque temps aprs, il fut mis dans le sac d'un chiffonnier, et portŽ chez le fabricant de papier. Lˆ, se trouvait une grande rŽunion de chiffons, les fins d'un c™tŽ, et les plus communs de l'autre. Tous ils avaient beaucoup ˆ raconter, mais le faux col plus que pas un. Il n'y avait pas de plus grand fanfaron. ÇC'est effrayant combien j'ai eu d'aventures, disait il, et surtout d'aventures d'amour! mais aussi j'Žtais un gentleman des mieux posŽs; j'avais mme un tire-botte et une brosse dont je ne me servais gure. Je n'oublierai jamais ma premire passion: c'Žtait une petite ceinture bien gentille et gracieuse au possible; quand je la quittai, elle eut tant de chagrin qu'elle alla se jeter dans un baquet plein d'eau. Je connus ensuite une certaine veuve qui Žtait littŽralement tout en feu pour moi; mais je lui trouvais le teint par trop animŽ, et je la laissai se dŽsespŽrer si bien qu'elle en devint noire comme du charbon. Une premire danseuse, vŽritable dŽmon pour le caractre emportŽ, me fit une blessure terrible, parce que je me refusais ˆ l'Žpouser. Enfin, ma brosse ˆ cheveux s'Žprit de moi si Žperdument qu'elle en perdit tous ses crins. Oui, j'ai beaucoup vŽcu; mais ce que je regrette surtout, c'est la jarretire... je veux dire la ceinture qui se noya dans le baquet. HŽlas! il n'est que trop vrai, j'ai bien des crimes sur la conscience; il est temps que je me purifie en passant ˆ l'Žtat de papier blanc.È Et le faux col fut, ainsi que les autres chiffons, transformŽ en papier.

Mais la feuille provenant de lui n'est pas restŽe blancheÑc'est prŽcisŽment celle sur laquelle a ŽtŽ d'abord retracŽe sa propre histoire. Tous ceux qui, comme lui, ont accoutumŽ de se glorifier de choses qui sont tout le contraire de la vŽritŽ, ne sont pas de mme jetŽs au sac du chiffonnier, changŽs en papier et obligŽs, sous cette forme, de faire l'aveu public et dŽtaillŽ de leurs h‰bleries. Mais qu'ils ne se prŽvalent pas trop de cet avantage; car, au moment mme o ils se vantent, chacun lit sur leur visage, dans leur air et dans leurs yeux, aussi bien que si c'Žtait Žcrit: ÇIl n'y a pas un mot de vrai dans ce que je vous dis. Au lieu de grand vainqueur que je prŽtends tre, ne voyez en moi qu'un chŽtif faux col dont un peu d'empois et de bavardage composent tout le mŽrite.È